Le texte qui suit a été écrit pour la feuille de choux d'un ami, je me suis dit qu'il pourrait intéresser des personnes sur Seenthis. Ce premier article est un extrait d'un travail plus large de compilation de statistiques électorales, de tentatives de visualisation et d'analyse pour comprendre l'évolution de l'extrême droite. Je publierai d'autres articles, éventuellement sous forme de zoom sur des points précis.
Publication initiale : https://seenthis.net/messages/360906
Et si contrairement à ce que certains journalistes, sondologues et dirigeants politiques répètent à tue-tête il n’y avait pas d’explosion de l’extrême droite en France ? Pourtant, le Front National n’a-t-il pas fait 25 % aux dernières européennes de 2014 et 28 % aux dernières régionales – score inégalé en 30 ans de nuisances ? Mais 25 % ou 28 % de quoi ? Des votants.
Nuance de taille puisqu’aux élections européennes la norme est à 60 % d’abstention et 50 % aux régionales. Là où les experts les plus raffinés voient « un français sur quatre » voter pour l’extrême droite, il n’y aurait en fait «qu’un » inscrit sur 10. Pire, « oublier» l’abstention revient souvent à mépriser les abstentionnistes, à réduire leur action à un caprice non politisé ou à croire qu’ils vot(erai)ent comme les votants – alors que précisément ils ont agi différemment et qu’il s’agirait de comprendre pourquoi.
À ces abstentionnistes s'ajoutent aussi les français non-inscrits : selon les élections et les périodes, ils sont entre 9% et 13% des personnes en âge de voter vivant en France - c'est à dire autant que d'électeurs d'extrême droite. S'ils ne sont pas inscrits il y a au moins deux grandes raisons : soit parce qu'ils sont exclus du vote car ils n'ont pas la nationalité française, soit parce qu'ils n'ont pas fait les démarches nécessaires1).
Quant à l’analyse en nombre de voix, elle masque l’accroissement de la population. Aux élections présidentielles, on est ainsi passé de 36,4 millions d’inscrits en 1981 à 41,2 en 2002 et 46 millions en 2012.
Autre rupture que nous proposons pour bien analyser la situation : ne pas réduire l’extrême droite au FN puisqu’il y a aussi le Mouvement national républicain (MNR, crée en 1999 par Bruno Mégret) et le Mouvement pour la France2) (MPF, crée en 1994 par Philippe de Villiers puis rejoint par Guillaume Peltier et Jacques Bompard). Ainsi, aux Européennes, le score de 10,1 % des inscrits apparaît comme historique si on ne prend en compte que le FN mais se révèle inférieur aux 11,4 % réalisés par l’extrême droite en 1994 (5,25 % FN et 6,16% MPF).
Raisonner ainsi permet aussi d'expliquer autrement ce nouveau succès du FN. En 1984 c’est par les européennes que l’extrême droite fait son grand retour : 6 % des inscrits votent pour elle. Or par la suite, l’extrême droite ne va cesser de voir son score diminuer à ces élections. On observe des rebonds seulement en 1994, avec l’arrivée du MPF, et en 2014. Précisément deux moments où, contrairement à toutes les autres élections européennes, au moins une partie de l’extrême droite a affirmé des positions fermement anti- Europe, ce qui semble plus fédérer et mobiliser son auditoire.
Puisque la question des frontières de l'extrême droite et de leur extension est abordée, il est inquiétant de noter à quel point ses obsessions, sa lutte contre la démocratie, ses actes et propos violents et stigmatisant sont répandus tant à l'UMP qu'au PS - mais est-ce nouveau ou un renouveau ?
Enfin, cessons d’analyser les résultats « tout type d’élections » confondus. Prenons chaque type isolément et sur la longue durée. En France, les deux pôles sont l’élection présidentielle - avec un taux moyen à 13 % (si on n’oublie pas le MPF en 1995) - et les élections municipales avec 2 % en moyenne3).
La principale variable qui pourrait expliquer cette différence est le « nombre de scrutins » par type d’élections : 36 000 pour les municipales, un pour la présidentielle. Ainsi les municipales nécessitent un profond ancrage social et territorial et une puissance militante massive et fédératrice, un engagement bien plus fort que des votants qui tous les deux ans vont déposer leur haine dans l'urne. À l’inverse, l’élection présidentielle nécessite un budget conséquent pour distribuer de la propagande et organiser des meetings ainsi que de bons relais dans les sphères du pouvoir central et des médias dominants.
Ces différences permettraient d’expliquer partiellement le récent succès de l’extrême droite aux départementales4) et aux régionales (12 % et 13% des inscrits contre 6 % et 8 % habituellement), puisqu'aux départementales le nombre de scrutins est passé de 4000 à 20005) et le nombre de régions est passé de 27 à 18. Pour les régionales, le score élevé de l'extrême droite peut aussi s'expliquer par les attentats islamistes survenus moins d'un mois avant. Aussi il est important de noter que ces observations ne valent pas prédiction, en particulier pour l'élection présidentielle à venir.
On le voit, les types d'élections ne sont pas neutres politiquement car ils ne structurent pas de la même manière les relations sociales. L'élection présidentielle française est sûrement la pire car la plus favorables à une oligarchie médiatisée, dont l'extrême droite fait partie, sa suppression serait donc bienvenue. Pour autant, aucun type d'élection ne fait disparaître les problèmes intrinsèques au fétichisme parlementaire. Quelque soit le type d'élection, un gouvernement, national ou municipal, républicain ou pas, sera toujours un outil d'oppression.
Enfin, quand bien même il est important de distinguer l'extrême droite des autres mouvements politiques autoritaires, on ne peut pas oublier leurs points communs, par exemple leur participation et leur soutien (révolu ?) au (néo)colonialisme.